20 Décembre 2030

L'hiver, le terrible et impitoyable hiver du nord, avait recouvert le Montana. En garant l'énorme Jeep dans le garage, ramenant sa femme de l'aéroport dans un quasi silence total durant le voyage, Dingaan Torgil se fit la réflexion qu'il faisait plus chaud dehors qu'en la compagnie de la belle brune. Il risqua un regard vers elle en coupant le contact. De toutes ses forces, il avait cherché, mais il ne trouvait pas le moment où la première pierre de leur empire s'était décrochée de l'édifice. A la longue, il avait abandonné le combat. Il savait qu'un jour, elle allait partir. Ça ne voulait pas dire qu'il acceptait, seulement qu'il comprenait. Pendant une période, il avait cessé d'aller travailler autant, il avait tenté dans un sursaut un peu désespéré de construire une vie familiale. Mais en vain. Sa vie était dehors, dans la tourmente. Il n'était né ni pour être mari, ni pour être père. C'était fataliste, certes. Mais c'était pour ça qu'on le détestait, justement.

Il sorti de la voiture, alla prendre la valise dans le coffre où trônait encore sa selle neuve, accompagnée d'un tapis pour le chien. Le dit animal bondit hors du coffre, fêtant gentiment Selena en remuant la queue et gémissant son bonheur soumis, absolument liquéfié de joie. Un jour, elle avait dit que le chien était plus content de la voir rentrer que son époux. Avait elle réellement tord ? Parfois, Dingaan en doutait. Certains soir, quand il avait couché Jace et les chiens, il se fixait dans le miroir. Et alors, il avait envie de le briser, de tout recommencer, mais il savait bien qu'il était trop tard. Son mariage n'avait de sens, plus de saveur. Qui d'eux deux savait encore s'il aimait l'autre ? Il ouvrit la porte de la maison, boita plus ou moins fort jusqu'à la chambre et y déposa la valise. Pour une fois, il avait fait à manger et les lasagnes fumantes attendaient sagement bien au chaud dans le four. Jace faisait un puzzle en chantonnant.

Lena hey ! Comment vas tu ma belle, tu as fait bon voyage ? clama alors Léotie, bondissant du fauteuil sur lequel elle était assise, gardant le petit garçon le temps que son père aille chercher sa femme. Le châtain leva vaguement les yeux au ciel, et dressa la table pour quatre. Il savait que sa sœur resterait manger pour retarder voire éviter la dispute. Entendant sa tante parler, le petit garçon avait bondit vers l'avocate en babillant, sautant partout, la joie débordant de son être frêle comme un torrent. Un sourire attendri passa furtivement sur les lèvres du cow-boy, aussitôt effacé. Les filles, à table, c'est servi. Jace, viens mon grand. Deux yeux d'un bleu surnaturel se tournèrent vers son père, et le petit brun bondit vers sa chaise. Il choisi volontairement la place à côté de sa mère, parfaitement ravi de son retour. Ses parents n'avaient plus échangé un mot depuis l'aéroport. Léotie pouvait bien rester un peu, elle ne réchaufferait pas l'atmosphère. Le temps s'était joué du couple.

20 Décembre 2030

Selena inspira, doucement en posant un pied chaussé d'un stiletto contre le sol froid du Montana. Serrant contre elle son manteau décoré de fourrure au col, l'avocate récupéra sa valise et chercha des yeux le visage de celui qu'elle nommait encore mari pour les apparences. Dont la bague offerte brillait toujours à son annulaire. Elle aperçut ses splendides yeux bleus qui l'avaient immédiatement séduite et revinrent à elle les premiers souvenirs, quand elle était entrée dans ce lycée pour une année qui changerait à jamais sa vie. Quand elle était encore en couple avec une ordure et qu'elle avait vu ce pion franchir la porte pour venir récupérer l'appel. Quand il avait passé une main dans ses cheveux, soulevant des soupirs d'extases dans les gorges de toutes les filles de sa classe. Mais aujourd'hui, il n'était plus rien de ce surveillant bien trop mignon. Elle le regardait, lui offrit un léger sourire avant de lui emboiter le pas.

Le Montana était si calme. Et l'ambiance dans la voiture aussi froide que la température polaire de l'extérieur. Selena n'avait qu'une envie, faire demi-tour. Retourner au plus vite dans son immense appartement, retourner dans la chaleur mondaine de Manathan. Elle y était seule, mais c'était encore préférable au silence de son époux qu'elle regardait par instant, cherchant quelque chose à aimer, un geste tendre qu'il lui accorderait. Une boule se forma dans son ventre avec l'envie délectable de la faire hurler ses quatre vérités à cet homme qui n'avait plus rien de celui dont elle était tombée amoureuse. Où étaient toute cette passion, tous ses gestes ? Où était-il tout simplement partie ? Où son esprit s'était-il enfuit, loin, trop loin d'elle ? Où es-tu Dingaan ? Que reste-t-il de l'homme dont je suis tombée amoureuse ? Mais les questions ne franchiraient jamais ses lèvres closes. Selena détourna le visage de la route, se tournant sur sa gauche et sur le paysage qui défilait sous ses yeux. L'aimait-il encore ? Quand ses lèvres avaient commis l'irréparable, quand elle avait répondu à ce doux baiser offert par un homme qu'elle avait découvert et dont elle n’espérait rien. Elle avait été capable d'embrasser un autre mais cette nuit, ce serait la chaleur de Dingaan qui devrait la réchauffer sans pour autant y parvenir. Il ne la désirait plus depuis longtemps. Il ne l'avait plus touchée depuis des siècles.

Le ranch était toujours comme dans ses souvenirs. La cheminée fumait, le chien bondissait sur elle avec une joie que seul les canins étaient capables d'offrir; Selena sourit, câlina un instant l'animal avant de suivre des yeux la démarche claudicante de son époux. Elle aurait tellement voulu qu'il parle, qu'il lui dise quelque chose, un simple mot, un simple geste affectueux. Mais Dingaan était aussi froid que la mort. Elle attendait, elle voulait qu'il sauve encore leur couple, qu'il fasse quelque chose pour qu'"eux" existe encore. Rien qu'un geste. Elle ne lui demandait pas une déclaration. Juste un geste, une preuve qu'elle existait encore à ses yeux. Il n'en fit rien.

Ravalant les larmes qui lui étaient montées aux yeux, elle passa le pas de la porte et sourit à sa belle-sœur, accueillant son fils dans ses bras. Son rire éclata mais dans son regard était bien visibles les larmes qui menaçaient encore, comme l'inverse d'une colère qu'elle ne pouvait éprouver. Son fils n'était pas coupable. Comme tu as grandi mon chéri. Tu deviens un vrai petit homme dit moi. Elle reposa son fils à l'instant où Dingaan revenait, laissant le petit garçon filer jusqu'à sa place, juste à côté d'elle. Croisant le regard de son époux, elle essaya de le garder mais fini par détourner les yeux. Il était ailleurs. A des dizaines de kilomètres d'elle.

Ca sent merveilleusement bon. glissa-t-elle, tentant une amorce de discussion à laquelle lui répondit le silence. Comment en étaient-ils arrivés là ? A quel moment s’étaient-ils trompés ? Gregory lui avait ouvert les yeux. Et elle s'en voulait tellement. Elle refusait de voir la vérité en face depuis si longtemps. A l'instant même où elle était retournée à New York leur couple n'avait plus été qu'un souvenir qu'elle tentait de conserver en regardant leurs photos, en s'attachant aux vestiges, au bonheur uniquement conservé sur le papier glacé.

Léotie et Jace lui faisaient la discussion, lui demandant des détails sur sa vie en ville, sur les plaidoiries et sur les affaires. Au diable le secret professionnel, Selena leur répondait, leur racontant ses souvenirs, ses rires et ses peines. Appuyant sur cette solitude qui lui pesait, cherchant à avoir une réaction de Dingaan. Qu'importe qu'elle soit négative. Au moins, quand ils criaient, ils le faisaient ensemble. C'était bien l'ultime chose qu'il vivait à deux.

20 Décembre 2030

Les yeux turquoises du jeune cow boy se posèrent sur sa femme, et un petit sourire répondit à la petite invitation qu'elle lui envoyait. Mais il ne répondit pas. Il n'était plus certain de savoir quoi lui dire, si ce n'était de fuir, quoi qu'il dise ou fasse, fuir loin de cette maison glacée qui s'ensevelissait chaque jour un peu plus sous la neige et les cendres de leur histoire. Son regard se promena sur la scène qui se déroulait autour de lui, sans le son. Selena, tellement belle, tellement plus belle que ce qu'il méritait. Léotie, sincère et douce, remplie d'amour, qu'il décevait de plus en plus. Et Jace. Son fils, plein d'une énergie vitale toute neuve et émerveillé de tout, si semblable à ce qu'étaient ses parents sans le savoir. Il les aimait, il ne pouvait pas le nier. Mais il ne pouvait pas plus le dire.

Il termina son assiette sans rien dire, resservi l'enfant qui réclamait un peu. Je vais coucher les chiens. Léotie, si tu veux que je te raccompagne sous la neige dis le moi. Sa soeur acquiesça sans stopper sa conversation avec la belle hispanique, et il soupira avant d'aller enfiler sa veste pour affronter l'extérieur et fermer les chiens dans le chenil, à l'abri de la nuit. Tout ce qu'il faisait était devenu un réflexe, un second sens, robotique et vide. Ses gestes étaient réglés, contrôlés, presque pas humains. Il ne savait réellement plus ce qui c'était passé, quand il avait sombré dans le workaholism le plus total et aveugle mais il ne parvenait pas à reprendre pied. Sa main fouilla les poches de la pelisse, dénicha un paquet de cigarette et il en porta une ses lèvres, la flamme du briquet qui l'alluma projetant des lueurs fantomatiques sur le tapis blanc. Il inspira à pleins poumons, avala la fumée et la recracha lentement, laissant la brûlure de l'addiction calmer son angoisse silencieuse. Il fallait rentrer.

Sans faire un bruit, comme à son habitude, il regagna l'intérieur. Les deux jeunes femmes discutaient toujours. Traçant son chemin, il alla mettre à couler un bain pour son épouse, avant de retourner au salon chercher Jace pour le coucher. Pour une fois, c'était les filles qui l'avaient un peu oublié au fil de leur conversation sur la vie new-yorkaise. Le grand brun s'approcha du canapé sans rien dire, adressa un sourire au duo, et souleva son fils qui marmonnait à voix basse dans ses bras. Sa main se perdit dans les boucles noires, inconsciemment paternelle, et il s'éloigna. Eh bien.. C'est très rare qu'il remarque avant moi que le petit tombe de fatigue, ça je n'en reviens pas. entendit-il dire Léotie dans son dos. Ça faisait mal. Et ce qui blessait le plus, était à quel point elle avait raison.

Arrangeant les rebords du lit, Dingaan observa le visage déjà endormi de Jace. Jacy. Les cheveux noirs et pleins de vagues, le teint hâlé par un miracle inconnu, une bouche féminine sous un nez droit et des yeux bleu turquoise, il était le mélange parfait de leur amour, un ange qu'il avait ardemment désiré et à qui il ne donnait pas l'attention qu'il devait. Où, où avait il merdé au départ ? La voix de Léotie résonna dans l'entrée, des au revoir, et il comprit qu'elle rentrait seule. Oh, il n'y avait qu'à traverser le ranch, mais il n'aimait pas la savoir dehors en plein blizzard. Un stress mordant reprit possession de ses entrailles, et il se pencha embrasser le front du petit garçon. Maintenant, il fallait parler. Ils ne pouvaient pas passer la soirée entière sans s'adresser un mot, quand même.

Arrivant derrière elle, il passa ses bras autour des épaules frêles de l'avocate et planta un baiser papillon sur le morceau de peau visible. Elle lui avait manqué, comme toujours. Il espérait trouver le courage de le lui dire, cette fois. Mais.. Lena ? Je t'ai fait couler un bain, si tu veux. Sinon euh.. J'ai entendu que tu avais perdu un procès, ils en ont parlé aux radios new-yorkaises... Ça va ? Crétin. Aussitôt dit, tout cela paraissait complètement débile, ou l'art de mettre les pieds dans un plat. Il ne pouvait même pas fuir, sa sœur avait débarrassé la table. Donc, maintenant, il n'avait plus qu'à espérer qu'il ne se montrerait pas aussi stupide deux fois sans quoi il risquait d'y avoir encore des cris. Et là, il ne voulait pas se disputer.

20 Décembre 2030

Avec le temps, le silence devrait sembler moins long. Avec le temps, la distance et les absences devraient disparaitre, s’amoindrir. Mais il n'en était rien. L'écart qu'ils avaient mit entre leurs deux vies se creusaient, avec la même force que le trou béant qui se creusait dans la poitrine de la jolie avocate. Selena avait perdu tout espoir de revoir un jour ce couple se reformer. Elle voulait lutter, elle se voilait la face en ce jurant que tout n'était pas fini. Mais qui pouvait encore croire à son mensonge si ce n'était elle. La brune avait répondu au baiser d'un autre homme, accepté son numéro, accepté qu'ils se revoient plus tard. Accepter la possibilité d'aller plus loin avec ce nouveau venu dans sa vie. Avec cet homme qui lui rappelait tant de souvenir, ce savant mélange entre l'ordure qu'elle avait aimé et l'homme à la douceur sans nom qui lui annonça aller coucher leur fils. La discussion des deux femmes dérivaient vers ses sentiments pour son époux et elle vit le visage en face d'elle retenir des larmes. Les mots de la belle étaient si facilement comprit par les autres. Tous voyaient en elle comme dans un livre ouvert quand elle se confiait enfin.

La discussion vit sa fin quand sa belle soeur regarda sa montre et bondit, alertée par l'heure. Il était déjà tard et elle les laissait seuls, promettant qu'elle repasserait bientôt. Elle demanda à la brune de tenir le coup et partie. La main gauche de Selena remonta jusqu'à son coude, qu'elle sera sans vraiment s'en rendre contre. Son langage corporel ne parlait plus pour elle depuis bien longtemps et pourtant, aujourd'hui, il le faisait, reprenant les vieilles habitudes qu'elle pensait avoir enfin perdue. Dans le ranch, l'avocate connue redevenait cette enfant qui avait passé des heures à étudier, à regarder avec amour son fiancé de l'époque se couper en quatre, travailler comme palefrenier aux écuries de Chicago pour être à ses côtés. Maintenant.... Ils avaient chacun leurs vies avant même d'être séparés.

Le baiser contre sa peau qu'elle ne méritait pas la fit frissonner légèrement, mais de délice plus que de dégout. Teinté d'une pointe d'angoisse à l'idée de le perdre, de le voir partir un peu plus. Il était là, avait fait le premier pas. Et déjà, Selena se souvenait des sentiments qu'elle avait encore pour lui. Elle l'aimait encore un peu. Même Gregory n'avait réussi à lui faire oublier cet attachement emprunt d'amour qu'elle avait à l’égard de son mari. Elle se retourna et se blottit dans ses bras, comme une adolescente, cherchant le brin de réconfort dont elle rêvait depuis si longtemps. Elle murmura un pardon, bien trop bas pour qu'il puisse l'entendre.

Oui. Elle releva le visage jusqu'à son mari, se plongeant dans ses yeux pour espérer y voir cette étincelle qu'il allumait dans son regard. Un avocat bien meilleur que moi et prêt à tout pour la victoire. Mais je n'ai pas forcément envie de parler du travail là, maintenant. Elle embrassa la peau qu'elle pouvait toucher et se perdit à nouveau dans ses prunelles qu'elle se souvenaient la détailler avant qu'elle ne s'endorme. J'aimerais prendre mon bain avec toi Dingaan. J'aimerais passer du temps avec toi. La froideur de l'avocate fondait comme neige au soleil. peut-être pouvaient-ils y arriver. peut-être pouvait-elle oublier ce baiser qu'elle avait échangé avec le dit avocat. peut-être. Tout dépendait de son époux. Le destin ne lui appartenait plus.

20 Décembre 2030

S'il y avait bien une chose que Dingaan avait inconditionnellement aimée en ce monde, c'était sa femme. L'odeur de ses cheveux, la chaleur de son corps blotti dans son mètre quatre vingt huit de muscles saillants, ses yeux sombre et doux, tout ça signifiait son monde quand il avait encore vingt cinq ans. Aujourd'hui, une décennie de plus au compteur, il n'arrivait plus à ressentir les choses avec autant de passion irraisonnée. Pourtant, alors que la belle brune se retournait pour se coller à son torse, il referma sa prise sur elle. Il y avait longtemps qu'il ne l'avait plus touchée, pas même aussi simplement que ça. La tension s'était installée partout, par sa faute, avalant tout tel un incendie naturel que seul le temps peut arrêter. Mais s'arrêterait-il seulement ?

Ses lèvres esquissèrent un sourire doux, et il embrassa les cheveux de l'avocate, comprenant parfaitement ce qu'elle voulait dire vis à vis du collègue qui l'avait battue. Prêt à tout ne voulait pas dire meilleur, pour lui. Un "meilleur", ça n'existait pas, pour lui. Le "meilleur" cheval de l'écurie, la "meilleure" élève de la classe.. Tout était si éphémère, si abstrait et court, comment pouvait on être un "meilleur" ? Ou en tout cas, pour combien de temps ? Si peu que ça ne valait pas le coup de le devenir. C'est ce qu'il aurait dit, s'il avait encore été le jeune palefrenier plein d'entrain qu'il était à vingt ans. Il l'aurait dit à Selena. Mais plus maintenant.

Il passa lentement sa main dans les longues mèches soyeuses, pensif. Y avait il encore quelque chose à sauver ? Pas de problème, on ne parle pas de ça.. Et c'est d'accord pour le bain, après tout, la baignoire est assez grande pour dix. chuchota-t-il près de l'oreille de sa femme. De temps à autre, il la regardait aller et venir avec sa famille, et il se demandait ce qu'elle faisait encore là, avec lui qui s'enfermait dans son cafard et ses angoisses muettes. L'angoisse. Elle était présente partout, de tous les côtés, quoi qu'il fasse, depuis ce jour où Amaranth avait écrasé sa cuisse sous son sabot de bête sauvage et imprévisible. Depuis des années, ça aurait du être oublié. Mais c'était plus fort que lui. La peur inexplicable, sans visage, le poursuivait. Et il fuyait. Tout.

Il lia ses doigts à ceux de Selena, déposa un bref instant ses lèvres contre leurs jumelles, et les entraîna vers la salle de bain. Une fois là bas cependant, il la laissa se déshabiller et aller dans la baignoire avant lui. Elle était là cette angoisse sourde, cette terreur qui le faisait reculer de plus en plus loin dans le labyrinthe de son âme. Son pull et sa chemise glissèrent au sol sans qu'il n'y fasse attention, mais au moment de retirer son pantalon, son estomac se retournait systématiquement et il sentait son corps prendre feu. Jamais il ne remercierait assez sa femme d'être resté avec lui, et d'ailleurs, il ne la remerciait plus assez depuis un certain temps. Son jean heurta le sol, et il mordit sa lèvre inférieure nerveusement. Non, jamais il ne pourrait s'y faire. Ses doigts rongés par le froid décrochèrent les attaches de la prothèse, et il tourna le dos au miroir en essayant de ne pas paraître trop empressé. Il ne pouvait pas admettre que, tel un enfant de cinq ans, il avait encore peur de ce reste de jambe qu'il observait depuis plus de dix ans.

L'eau chaude enserra doucement sa peau, et il se surprit à ne pas attendre de geste de la part de sa femme et d'en faire un tout de suite. Il repassa un bras autour d'elle, apaisé par la chaleur et la présence calme de celle pour qui il avait envoyées au diable ses convictions. Il embrassa sa tempe, et ferma ses yeux de glace. Ça faisait peut être un ou deux ans qu'il n'avait pas glissé son corps dans de l'eau chaude comme ça. Et plus encore en compagnie de Selena. Tu as beaucoup manqué à Jacy et à Léo... Et.. A moi aussi tu sais. C'était dit. Depuis combien de temps cette phrase n'avait elle pas franchi sa bouche ? Il aurait eu peur de la réponse. Il fit tourner son doigt à peine immergé dans l'eau, dessinant une forme, avant de trouver le courage de reprendre la parole. Tu voudrais vivre là bas, pas vrai ?.. A New-York. Dans cette ville que jamais il ne pourrait habiter. Dans ce monde qui lui était étranger, tellement étranger, mais elle avait tout sacrifié elle, pour lui. Pourquoi se faire si égoïste, si puéril ? Son coeur balançait dangereusement entre sa terre, et l'amour. Entre la folie, et la raison. Au fond, il savait déjà bien qui l'emporterait. Mais pourquoi rester indéfiniment campé sur ses positions ? Il fallait bien qu'à un moment ça sorte. Maintenant.

20 Décembre 2030

Le baiser qu'il déposa sur ses lèvres avait des allures de souvenirs, de paroles oubliées et d'instants volés. Il n'avait agit de la sorte depuis tellement longtemps. Il ne l'avait pas touché, il ne l'avait plus vraiment aimé. Selena avait l'impression d'être dans un autre monde, dans une petite bulle de bien être qui ne perdrait pas son temps pour exploser et faire tout disparaitre dans l’incendie dévastateur. Ses doigts s'attachèrent à ceux qui lui étaient tendus, comme on se raccroche à une bouée de sauvetage. Il pouvait tellement le devenir, cet époux qu'elle voulait aimer plus que ce qu'elle éprouvait maintenant pour lui. Souvenirs tendrement enfouis dans sa poitrine de ses journées passées avec lui, de sa présence dans son appartement d'étudiante. Dingaan lui manquait à chaque seconde, mais l'image de lui qu'elle avait de leur jeunesse, quand le monde filait encore dans un sens qui ne pouvait prévoir que mille beautés. Elle se souvenait encore lui dire oui et sauter à son cou alors qu'il la demandait en mariage. Elle se revoyait éblouissante dans cette robe blanche alors qu'elle s'approchait de cet époux qui l'attendait. Une fois de plus, c'était des souvenirs sur papier glacé et rien d'autre.

Elle quitta ses vêtements, captant le parfum de l'eau et du savon, la buée qui montait en ombre fuyante jusqu'à la glace, recouvrant petit à petit la salle de bain. Son corps si séduisant luisait de ses perles douces qui s'attachaient à sa peau. Selena entra dans l'eau brulante, savourant le bien être qui venait s'installer dans son corps et se blottissant contre celui de Dingaan alors qu'il entrait dans le bain à son tour. Elle avait envie que rien ne vienne briser cet instant volé, qu'aucune paroles ne viennent détruire l'atmosphère qui régnait là. Cette nuit, son lit serait peut-être chauffé par leur ébat d'amant. Leur ébat d'époux. Dans un flash, elle vit le bonheur dégoulinant des Targison et les envia. Ils s'aimaient encore. Ils se le prouvaient à chaque instant. Et elle, autrefois si fière de son couple, le regardait sans haine ni jalousie. Juste avec cette envie d'être semblable et cette boule au ventre de perdre petit à petit Dingaan.

Elle embrassa sans même sans rendre contre la peau de la clavicule de son mari, soupirant d'être dans ses bras, comme si elle était enfin entière. Les bains à New York n'avaient pas de saveur. puis les paroles glissèrent jusqu'à ses oreilles et ses lèvres se soulevèrent en un sourire incroyablement doux. Elle lui avait manqué. Tu m'as manqué Dingaan. Vous m'avez tous manqué. Sa famille. Cette vie pour laquelle elle avait autrefois tout sacrifié. Sacrifice dont elle n'était plus capable maintenant. Elle avait besoin de sa vie, de son travail comme un drogué de sa dose. Les heures passées au bureau, ses plaidoiries infinisables. C'était là qu'était sa vie. Dans l'effervescence de New York. Et non dans l'insouciance de ce Montana trop sauvage. Oui. Je ne pourrais partir de là bas tu sais. J'aimerais que tu viennes Dingaan. Que tu restes avec moi. Que notre famille ressemble à une véritable famille. La décision était encore plus dure là dans ses bras. Mais s'il répondait encore non, elle finirait par partir. Et il devait surement le savoir.

20 Décembre 2030

Il n'avait jamais prit de coup de couteau, de sa vie. Mais la sensation était bien là, la douleur brusque et vive, surprenante, brûlante. Partir.. C'était impossible. Il y avait eu un temps où il aurait pu, où il se serait senti capable de couper le lien avec ses racines, mais à présent.. Non. Il ne pouvait plus. Dans ses souvenirs, il sentait encore l'amour qu'il portait alors et il se rappelait qu'il aurait tout donné pour elle. Aujourd'hui, elle était devenue dépendante de son job et lui plus encore. S'il avait pu, il aurait aimé lui dire que oui, il plaquait tout pour la suivre comme elle l'avait fait pour lui.

Sa tête bascula en arrière, les yeux clos, et il se concentra sur la sensation de l'eau, du corps collé au sien, le silence. Le vent sifflait moins dehors. La décision avait elle vraiment une issue ? Dans sa tête, il imaginait les lumières de la grosse pomme, Central Park et son club hippique peuplé de chevaux aux longues figures malheureuses, Manhattan district rempli de gens courants dans tous les sens. Ce devait être magnifique, plein d'agitation. Au fil des images, un paysage sauvage de montagne clôturée de paddocks en rondins s'imposa à lui, verdoyant, l'herbe haute secouée par le vent. Le cheval de Central Park, seul dans son boxe, fixait sur lui de grands yeux tristes mais bourrés d'intelligence et dans le pâturage indompté, un autre levait sa tête avec fierté, le regard simple et malicieux. Voilà entre quoi il devait choisir. Une liberté oisive, où une vie pleine d'intelligence stressée.

Sa main se crispa un peu sur l'épaule de sa femme, et il refoula le nœud d'angoisse qui tentait de se former dans sa gorge. Selena.. Je.. C'est impossible. Je ne peux pas partir. Jamais je n'y arriverais.. Sa voix dérapa un peu, comme un train qui déraille, et pendant un instant, il se dit qu'il ne fallait pas qu'il continues, qu'il ne devait surtout pas qu'il mette sur toutes ses questions des mots à voix haute. Depuis des mois, je sais que je ne te retiendrais pas indéfiniment avec moi, ici, alors que tu n'aimes pas cet endroit. Parfois, je pense qu'il faut que j'arrête d'être aussi égoïste, distant, mais en vérité dis moi... A quoi s'acharne-t-on ? Qu'est-ce qu'il reste à sauver ? La cruauté de ses mots le heurta comme un mur, en même temps qu'il comprenait que c'était ce qu'il se disait depuis longtemps. C'était leur dernière chance, mais elle était vaine. Seul un véritable idiot ne l'aurait pas reconnu. Et malheureusement, quoi qu'il en eut pensé, il n'était pas réellement stupide.

20 Décembre 2030

Le silence était la plus douloureuse des paroles. Selena attendait, vainement que les mots reviennent, que la réponse éclaire son chemin. Elle n'attendait pas grand chose de sa réponse. Elle savait parfaitement ce qu'il allait dire et son coeur se sera un peu plus. pourquoi n'arrivait-elle même plus à espérer ? A rêver qu'il pourrait dire oui ? peut-être le connaissait-elle trop ? Ou simplement avait-elle arrêter de rêver à ses instants cachés alors que son monde lui échappait petit à petit. La brune avait toujours voulu tout contrôler avec perfection, bossant des heures et des heures pour parvenir à l’excellence et n'acceptant pas l'échec. Comme elle n'acceptait pas l’échec de son mariage. Et l'incapacité qu'elle avait à contrôler les faits et actes, à contrôler ce qui deviendrait leur futur.

Les mots du cow boy lui transpercèrent le cœur en des milliards de petits poignards plantés avec application dans son corps. Elle réagit au quart de tour, son sang espagnol venant siffler à ses oreilles avec violence. Elle sortit du bain en fureur, noua une serviette autour de sa poitrine, cachant la vie de son corps doré dans le bain lumineux. Lui n'y croyait plus ? Très bien, qu'il n'y croit plus. Ce serait avec plaisir qu'elle débarrasserait le plancher. Après tout, elle en lui devait plus rien. Et elle avait été folle de vouloir encore essayer de sauver les brides de leur couple.

On s'acharne ?! Il n'y a plus rien à sauver ?! Mais c'est parfait si c'est ce que tu penses alors ! J'ai été folle de croire qu'en revenant, j'ai été folle d'un jour te croire quand tu me promessais monts et merveilles ! Tu es une ordure Dingaan ! Tu ne penses qu'à ta petite personne, qu'à tes putains de canasons trépanés ! La rage montait un peu plus dans son coeur à chaque seconde et elle se montait d'elle-même en pression. Ouais t'es un égoïste. Moi j'ai fais l'effort de rester ici, de rester avec vous. On a une famille. Tu sais ce que ça veut dire une famille ? Jace ne mérite pas un père comme toi. Sa voix s'étrangla dans sa gorge alors que ses yeux pleins de larmes se posaient sur son mari. On lui a pourri la vie et tu continues à le faire...

pour peut elle en aurait pleuré. Mais s'il ne la rattrapait maintenant, elle partirait. Qu'importe que ce soit en plein milieu de la nuit. Elle fuirait cette maison trop froide et amènerait son fils avec elle. Elle refusait de le laisser une seconde de plus dans l'atmosphère qui régnait ici en maitre.

20 Décembre 2030

Dire qu'il pensait qu'elle ne s'énerverait peut être pas aurait été un mensonge. Ils ne pouvaient pas cesser de se disputer. Ils étaient simplement au milieu de champ de ruines et au lieu de reposer les pierres tombées sur l'édifice, ils ne faisaient que le marteler un peu plus. Et c'était lui qui donnait le plus de coups de masse dans les murs, qui les faisait éclater en millions de morceaux tranchants et nuages de poussière. Devant l'accès de colère justifié et inévitable, son premier et mauvais réflexe fut de vouloir se redresser vivement pour protester. Il n'avait pas ouvert la bouche qu'il retombait déjà dans l'eau, en envoyant partout. Comment oubliait il encore qu'une jambe lui manquait ?

Il rattrapa le rebord de la baignoire en jurant férocement, et posa sur sa femme un regard furibond. Tu penses pouvoir prétendre quoi, Lena ? Hein, au juste ?! Non mais regarde nous ! Au fond, on s'est enfermés dans un monde qu'on pensais pouvoir construire mais ça n'a servi à rien ! Oui je suis égoïste ! Mais je te rappelle qu'à l'époque où on était un jeune couple, j'étais prêt à partir pour New York et tu as dit que la campagne serait mieux ! Je t'ai pas traînée ici de force ! T'es pas plus là que moi, t'es jamais là, t'es en ville et tu viens seulement pour Jacy et Leo, ne le nie pas. Au fond tu sais très bien où on va, tu le sais aussi bien que moi. Je te retiens pas. Le venin finit de s'écouler d'entre ses lèvres, et il enroula une serviette autour de ses hanches avant d'attraper la paire de béquilles qu'il gardait dans la salle de bain.

La seule raison qui le raisonna de se mettre à tout casser ou à pleurer était son fils, son petit garçon profondément endormit dans son lit, rêvant sans doute à un poney et des parents unis. Une fois, il avait emmené Selena parcourir le territoire du ranch, une belle nuit estivale. Secrètement, il avait essayé de lui faire comprendre. Cette liberté, cette paix silencieuse, le vent, les lueurs subjectives des habitations et rien d'autre que le néant des étoiles au dessus de la tête, il ne pouvait pas y renoncer. En s'y prenant de suite, il aurait peut être réussi. Trop tard, à présent. Le démon avait déjà prit possession de son âme et la consumait.

Par ailleurs chérie je tiens à te faire remarquer que ton fils ne te vois plus beaucoup non plus. Et que me traiter d'ordure n'arrangera rien, on s'est plantés, c'est tout. Tu ne peux pas renoncer à ce qui est pour toi la vie merveilleuse, et moi non plus. Nous voilà donc au pied du mur, c'est pas plus compliqué que ça. Ses lèvres hésitèrent, sa main tressauta un peu. Il n'osait trop savoir jusqu'à quel point il pouvait pousser la dispute. Dernière chose.. Arrêtes de tout ramener aux chevaux. Si j'avais été éleveur de chèvres, ou simple cultivateur de terre, je serais aussi resté dans le Montana. Les chevaux sont pas responsables de tes soucis. Ce sont les humains qui le sont. Ces cinq dernières phrases avaient eu un ton plus sec, plus froid. Un soupir énervé glissa entre ses dents, il ébouriffa ses cheveux machinalement et sortit de la salle de bain pour se servir un scotch. Qu'elle fuie, au fond, c'était presque son désir. Il la voyait souffrir de plus en plus, et il voulait qu'elle parte, qu'elle trouve quelqu'un de bien, qu'elle ait la vie la plus magique du monde. Sans les douleurs qu'il lui imposait. Le verre descendit cul sec, et il prit son visage dans ses mains. Non, en effet... On ne peut jouer sur des cordes cassées.

20 Décembre 2030

Les mots la heurtaient avec fureur et elle soupira en l'entendant. Son sang se glaça à nouveau et elle ferma les yeux alors qu'il finissait sa tirade et partait. Alors qu'il sortait de cette pièce, surement pour boire. Surement pour oublier. Oublier que leur vie n'était qu'un mensonge, que leur amour n'était qu'un souvenir. Il y avait eu tellement de choses. Comment ils pouvaient aujourd'hui tout oublier ? Comment ils pouvaient aujourd'hui être à des milliards de kilomètres de ce qu'ils étaient initialement. Comment lui, qui l'avait sauvé des griffes d'un véritable bourreau, se retrouvait ainsi à lui tourner le dos ? Il avait fait son choix et de sa langue acéré, il lui avait prouvé qu'il n'y aurait pas de retour en arrière possible. C'était trop tard. Trop tard pour reconstruire quelque chose des ruines de leurs amours. Il n'y avait plus rien. Juste un immense désert qui les séparait maintenant et sur lequel ils remmenaient toujours plus de sable. S’entêter était vain.

Elle ne s'approcha pas de lui, montant jusqu'à la chambre de leur fils. Ses longs doigts se perdirent dans les boucles brunes de son enfant, si parfait mélange entre son père et elle. Il leur ressemblait tellement mais dans son coeur hurlait la liberté des étalons sauvages du ranch des Torgil. Elle ne pouvait lui passer une bride et l'obliger à la suivre, l'obliger à vivre dans les rues de New York où il finirait étouffé.

Au revoir Jace. Je t'aime.

Elle déposa un baiser sur le front du petit garçon qui gémit un peu dans son lit. Une larme roula sur sa joue alors qu'elle se retenait, qu'elle s'empêchait de fondre pour de bon en sanglot. Récupérant sa valise, elle passa devant son époux, aperçu le verre à sa main et déglutit.

Alors on se dit adieu ? pour de bon ? Cette fois c'est bien la fin ? On se dit au revoir, on se quitte comme ça. Ainsi soit-il. J'aurais cru que tu te battrait. Vraiment. J'aurais du plus me battre. Tant pis. C'est bien trop tard pour nous de toute manière.