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Le soir avait enveloppé le monde de son doux souffle d'été, posé sur la France avec une ingénue légèreté. Debout au bord d'un vieux mur de pierre au bout du somptueux jardin qui accueillait sa fête de mariage, Aèl Targison promenait sur les lointaines lueurs de la ville son regard paisible. La musique meublait l'espace, le bruit des conversations et le rires ricochaient autour de lui. Il clos ses paupières sur le bleu étrange de ses yeux. Il avait besoin de passer un petit moment seul, pour se souvenir, assimiler les choses, ouvrir un nouveau regard sur son existence. Il la revoyait dans sa petite robe de créateur le jour de leur première rencontre, innocente et pourtant déjà reine. Il n'aurait même plus su dire pourquoi elle l'avait envoûté si vite, ni comment. Il était simplement tombé, interminablement, comme Alice avait dégringolé au "Pays des Merveilles" qui était si horrifique sous son nom attirant. Ils s'étaient attirés dès le départs, deux papillons se brûlant sur la fougue de l'autre. Il n'avait pas longtemps eu l'ambition de l'avoir à son bras devant le reste du monde, il avait compris que jamais il ne serait quelqu'un de digne d'elle à ses yeux et ceux de ses parents. Il avait été profondément blessé, brisé dans sa fierté d'homme prématuré. Encore. Et cependant ils étaient là aujourd'hui, lui en costume cintré et elle dans sa somptueuse robe de mariée à peine finie la veille par les mains agiles et talentueuses de son meilleur ami. Son monde de lycéen s'était retourné autour de lui, il avait recréé des liens d'enfance qui, il ne l'avait pas réalisé, lui avaient cruellement manqué. Grâce à elle. Elle, il y avait renoncé depuis longtemps quand elle avait fait irruption à nouveau dans sa vie.

Il soupira calmement, chassa les piques et les blessures qu'ils s'étaient envoyées pendant toutes ces années et reprit le chemin du gros de la fête de mariage en s'étirant. Tout avait été parfait. Elle était splendide, leurs amis souriaient de tous côtés et ils avaient évincés le grand père et la grand mère dans un coin. Le banquet descendait petit à petit. Les enfants galopaient en groupe autour des tables, tous tirés à quatre épingles à l'arrivée mais devenus un peu crottés. La pièce montée découpée fondait un petit peu au milieu de la table et il entendait éclater des bouchons de champagnes par ci par là. Il se rapprocha de sa femme dans son dos, entoura sa taille de ses bras et respira l'odeur de ses cheveux sans rien dire. Mathieu lança une blague un peu vaseuse, et lui fit une grimace enfantine sans perdre le sourire. Tout semblait s'être inversé. Il admirait cette femme dont il avait rêvé toute sa vie, et peinait à croire qu'elle était sienne, et qu'il lui avait promis son éternité sans la moindre hésitation, lui avait demandé de l'enchaîner. Il avait nié de longues années ses sentiments profonds, mais finalement son cœur avait vaincu ses principes défaits.

Il embrassa son cou, cajola sa main un instant et s'éloigna à nouveau. Il était très tard, il avait l'alcool dans le sang, et la raison fuyante. Il tira la langue au meilleur ami de son épouse qui le surveillait avec une moue suspicieuse, et retrouva ses amis derrière la scène, insistant pour monter en scène, pour prendre une chanson à charge, etc. Les rideaux tombèrent et ils acceptèrent d'aller brancher sa guitare. Il vérifia ses cheveux, et les désordonna un peu. Il desserra sa cravate, enleva sa veste et ouvrit tout le haut de sa chemise. Il voulait être qui il serait toute sa vie, se glisser même dans la peau de l'adolescent qu'il avait été pour conserver sa sensibilité d'enfant. C'était ce petit garçon au poignet et à l'esprit brisés qui avaient été conquis par la blonde qui sirotait du champagne dehors en riant avec ses amies. Un petit sourire crétin passa sur ses lèvres, et il finit par remettre son jean et ses chaussures de bon sportif branché, envoyant au diable la famille coincée de sa femme et son père. Elle aimait pas vrai ? Donc elle l'aimait pour ce qu'il était ? Il alla chercher sa place sur les planches, accorder sa guitare, vérifier le micro, s'installer aussi bien que cuite permet. Puis il fit signe de lever le rideau, et tous les yeux se tournèrent vers lui. Il pouvait presque sentir les foudres de son beau père le traverser. Il se racla la gorge. Bonsoir ! Vous savez tous ce qui se passe, je ne vous explique donc pas en long large et travers. Je veux juste dédicacer une chanson qui a bercé ma vie pendant des années, pour que la femme que j'aime sache ce que j'ai toujours ressenti pour elle. Il s'assit confortablement, et glissa ses doigts sur les cordes de la guitare. Le piano de sa cousine sonnait doucement derrière elle, et il posa sa voix sur les notes sans hésiter.

Well you only need the light when it's burnin' low... only miss the sun when it start to snow. Il connaissait ce chant par cœur, n'avait même pas besoin d'y penser pour le chanter. Il suivait le piano en jouant discrètement de ses cordes, t laissa sa main louvoyer plus clairement dès le premier refrain. Il rouvrit ses yeux, réalisant seulement qu'il les avait fermés, et chercha à accrocher celui de la blonde. C'était pour elle, à elle. Tout ça, il l'avait ressenti pendant les longues journées de leur enfance, il l'avait tu, cadenassé dans son âme. Mais ça avait toujours été là, aussi constant qu'un feu régulièrement alimenté. Elle avait toujours été là, là où il ne voulait laisser aller personne. ..Starin' at the bottom of your glass, hopin' one day you'll make a dream last... But dreams come slow, and they go so fast... You see her when you close your eyes, maybe one day you'll understand why everything you touch surely dies... Il défit le lien de regards, et promena le sien sur les invités, ses amis, ceux de sa dulcinée. L'incrédulité des premiers et celle des autres se recoupaient parfaitement. Oui, il pouvait aimer. Il ne le l'avait jamais voulu, mais son humanité l'avait rattrapé et cette fois, il lui avait prit la main. ...only know you've been high when you're feelin' low, only hate the road when you're missin' home ! Only know know you love her when you let her go... Il n'y avait plus de musique, et ses yeux s'étaient cette fois vissés aux siens, opposant les deux bleus. Cette chanson, elle l'avait fait souffrir et rassuré à la fois des heures quand il se roulait en boule sous ses couvertures, son portable serré entre ses doigts et ses écouteurs enfoncés jusqu'aux tympans. ..And you let her go. Sa voix déterminée claqua presque dans l'air rafraîchi par la nuit, et il leva ses doigts des cordages de l'instrument.

A son sens, tout était dit. Il l'aimait, l'avait toujours aimée au delà de tout et il savait qu'il l'aimerait toujours quoi qu'il se passe. Oh il y aurait des conflits... Mais il l'aimait par dessus ça. De cet amour idiot et féerique, cet amour aveugle qui l'effrayait. Un sourire s'étira sur ses lèvres, et il quitta sa chaise. Sa vie commençait en bas de la scène, en la personne de cette femme. Sa femme. A jamais. Jusqu'à sa mort. Et au diable les conventions. Il n'avait jamais été un mouton de toute façon.