8 Décembre 2001

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Il était cinq heures de matin. Dingaan frotta ses yeux pour les réveiller, un peu hagard, et se glissa hors du chaud cocon de ses couvertures sans réveiller Leotie qui dormait encore profondément. Il dévala l'échelle de la mezzanine fixe sans un bruit, sauta des ses vêtements d'hiver pleins de fourrure et fonça vers la cuisine d'où s'échappait le doux fumet matinal des pan-cakes au sirop d'érable. Il salua son père et sa mère avant de mordre dans sa pile encore brûlante, et son corps se détendit doucement. Il regardait la neige tomber en tourbillons puissants, et ses chiots qui gobaient les flocons en bondissant partout. Il faisait encore sombre, mais d'ici à ce qu'ils aient levés, attelés les chevaux, sans compter le chargement des chars avec le foin du jour, il ferait jour et le spectacle hivernale des indomptables montagnes de son pays s'offrirait alors à eux. Il adorait sa vie ici le reste de l'année, mais malgré sa rudesse, l'hiver restait sa saison favorite.

Niyok et Nutha étaient prêtes. Calmes, la queue fouettant à peine, les deux juments shire somnolaient alors que le char comblé de foin se remplissait. Dingaan était chargé d'aller vers les sommets, nourrir les troupeaux de Cattles avec Wolf Gun et Jerry Cash, les jeunes bergers d'un an qui découvraient la neige pour la première fois. Il avait toujours ces deux juments là, les plus puissantes et expérimentées. Il avait sellé et attaché à la charrette son poney de Chincoteague, Sparks In Cinnamon, et il le voyait s'ennuyer ferme. Il emmenait toujours son poney pour guider le char et les chevaux qui s'éloignaient trop des terres du ranch familial. Les chiens eux, servaient contre les loups tout comme le fusil posé sur le siège de l'attelage. Il était six heure quinze quand le char s'ébranla enfin, et il vit briller dans les yeux de son père une certaine fierté. Les hommes du ranch n'avaient pas encore fini de charger. Il claqua sa langue pour intimer aux deux juments d'avancer, et elles se réveillèrent d'un seul coup, poussant sur leurs énormes sabots pour tirer les quelques dix tonnes de foin derrière elles. A la fenêtre, Leotie, tout juste réveiller, fit au revoir de la main.

La neige était épaisse. Lourde, profonde, elle s'envolait malgré tout à chaque coup de vent, couvrant l'équipage de blanc. Wolf Gun ouvrait la marche, sa queue touffue guidant le jeune garçon, et Jerry Cash la fermait, surveillant les alentours par instinct. Niyok et Nutha tiraient de toutes leurs forces, et ils atteignirent le sommet de la propriété aux alentours de sept heures et demi. Dingaan se hissa tout en haut de la pile de bottes de foin, et souleva les bottes de ses petits bras pour les jeter par dessus les clos de bois solides, chaleureusement gratifié par les vaches flanquées de leurs veaux frigorifiés. Il observa bien, compta les têtes, intimant çà et là aux juments de s'arrêter ou de repartir. Les minutes défilaient, et le poney broutait quelques touffes, détaché pour plus de confort. Il trottinait derrière sans s'éloigner. En tout, c'est à plus de deux cents têtes de bétail qu'il nourrit ainsi, sachant bien qu'il ferait la même chose le soir venu mais dans le noir, guidé par les lanternes du chariot. Il entrava les juments et les laissa à brouter, enfourcha le poney et alla vérifier les chevaux.

Les juments s'étaient misent en rond cette nuit, il le voyait aux empruntes, mais elles mangeaient paisiblement. Il les appela de la langue et la dominante le salua gentiment, trottinant vers lui. Il retourna au char, leur balança leur part de foin et alla grattouiller un peu les poulains timides et ravis par ce tapis blanc sous leurs pieds hyperactifs. Wolf et Cash jouaient comme des fous, et il aurait pu jurer décevoir tout ce petit monde quand il libéra les shire et remonta à poney pour redescendre la montagne glacée. Les juments lui firent un bel adieu déçu, et les chiens eux découvrirent vite que de la neige pour jouer, il y en avait partout. Sparks galopait lentement dans les congères, et l'attelage vidé suivait. Huit heures quarante. Il sourit, c'était dans les temps records. Mais soudain, le poney stoppa, et tira sur son mors pour faire demi tour. Il semblait bizarre, et le garçon repéra alors une forme fine qui avançait vers les chevaux. Un puma. Niyok paniqua, et les chiens se ruèrent vers le félin, sourds aux appels de leur maître. Il avisa le fusil. Il savait s'en servir, mais seulement sur des cibles statiques, ou des chevreuils, pas ça... Il était magnifique, cet animal. Mais quel choix avait il ?

Il arma le fusil, et visa avec soin. Les chiens étaient encore assez loin pour qu'il ne les touche pas, mais les juments trop près et elles commençaient à céder à une certaine panique organisée. Il inspira à fond, vérifia sa précision, ferma son esprit et le coup de feu éclata sombrement dans le silence des tourbillons de neige. Les chiens freinèrent, et l'animal s'écroula. L'enfant ouvrit son téléphone portable, et sélectionna son père. Pour une fois, il répondit du premier coup. "Din ? Que se passe-t-il, on a entendu un coup de feu de ton côté, tu as vu des loups ? Il sanglotait au téléphone, et il du s'y reprendre plusieurs fois avant de pouvoir donner une réponse à son père qui patientait au bout du fil. N-n-non... C'était un puma, je-je crois que je l'ai tué." Il y eut un long silence, puis Stephen lui ordonna de ne pas bouger. Lui et deux des hommes arrivaient trente minutes plus tard. Il était près de la bête, qui arborait un trou parfaitement dessiné sous l'épaule. Stephen Torgil dévisagea son fils, et éclata d'un grand rire qui effraya les poulains. C'était bien la meilleure, lui qui avait du attendre vingt ans pour avoir un puma ! Il reposa son fils sur son poney, et chargea la bête sur le char au grand damne évident des deux braves juments de trait.

Ils avaient descendu la montagne en riant du choc du jeune garçon, et sa mère avait frôlé la syncope en apprenant qu'il avait eu cet animal énorme en face de lui quelques minutes. Leotie était fasciné. Trois semaines plus tard, le grand puma baptisé Otaklay, celui qui a beaucoup tué, fixait les murs de la maison, empaillé à la perfection, semblant parfaitement vivant. C'était Nashoba, le meilleur ami de son père, un indien Crow qui avait nommé le grand fauve. Il avait également nommé Dingaan et Leotie, en signe de protection, et leurs noms avaient toujours sonné juste. Le petit cow boy jubilait, ravi à présent, et ne craignait plus secrètement de monter en haut des clos. Au contraire, l'appel du monde sauvage avait enflé dans son cœur comme jamais, et il savait qu'il ne pourrait plus jamais quitter sa terre. Coûte que coûte, il donnerait sa vie à son ranch.